Villes intérieures - Xavier Girot

 

Villes intérieures contient 107 poèmes de Xavier Girot, précédé de  Portrait d'un éternel ami de Christian Lavigne et la dernière lettre manuscrite de Xavier Girot adressée à ce dernier.

 

Après sa disparition prématurée à l'âge de 20 ans en 1981, le meilleur ami et le frère de Xavier Girot ont proposé ses poèmes à quelques éditeurs de la place parisienne, n'obtenant aucune réponse. Au début de l’année 2016, son frère me proposa les textes en lecture, sans rien attendre de plus en retour. Ma surprise fut grande ! C’était étonnant, pour ne pas dire fascinant, de lire cela... Et écrit entre ses 14 ans et 20 ans ! Ce premier livre rassemble la majeure partie de ces textes. Xavier Girot n’avait pas laissé d’indications quant au titre à donner à ce livre, aussi celui donné, Villes intérieures, est celui de mon choix. 

 

Philémon Le Guyader


                                                                    

 

Format 13 cm x 20 cm - 164 pages - 107 poèmes.

ISBN : 978-2-37517-001-4

Prix 13 euros (+ 4€ de frais de port).

Parution en 2017.

 

Nouvelle édition agrémentée en 2023.

ISBN : 978-2-37517-042-7

Prix 15 euros (+ 4€ de frais de port).

 

 


Cliquer sur l'image pour l'agrandir :


Xavier Girot

En septembre 1981, Xavier Girot se suicidait à l'âge de 20 ans, laissant derrière lui environ 200 poèmes écrits entre les âges de 15 ans et 20 ans.



PORTRAIT D'UN ÉTERNEL AMI, de Christian Lavigne (extraits).

(…) Tu n'aimais pas être pris en photo. Je crois m'en souvenir. A cette époque seule la poésie pouvait saisir la réalité. Pas seulement la poésie des mots, celle de l'art et de la vie toute entière. Nous sommes quelques uns à n'avoir pas changé d'avis. Et beaucoup d'autres à se bercer d'illusions sans cesse renouvelées par la technologie. Curieusement, sans le savoir, tu t'es fondu dans le paysage du monde juste avant la révolution de la micro-informatique.

(…) On s'écrivait à la main des courriers que nous attendions dans nos boites aux lettres. On tapait nos textes sur des machines bruyantes, et le noir du papier carbone suffisait au partage d'idées que nous espérions lumineuses. Images d'encre et de charbon. Liens directs avec la terre, l'eau et le vent. On soufflait sur les lignes fraîches avant de plier la lettre. Tu me vois souffler sur l'écran où j'écris maintenant ? Voilà un gag qui t'aurait fait bien rire ! Je ne regrette pas l'ancien temps, mais je ne me console pas de la félicité que tu as choisie un sombre jour de septembre 1981. Ce mot étrange que tu as voulu souligner dans ta dernière lettre. Celle que j'ai reçue comme un avion qui décroche brutalement dans un ciel sans nuage – le même azur que celui de notre indéfectible amitié. Elle était unique cette amitié. Même au sens propre - selon ta mère qui m'a dit : "Tu étais son seul ami". Un ami qui ne voit rien venir de grave, est-ce possible ? Oui, répondait ton père, qui parlait pour lui-même et pour nous tous : "On peut vivre des années à côté d'un être sans jamais le connaître ".

(…) Il aura donc fallu attendre 35 ans et l'enthousiasme d'un jeune éditeur, PHILEMON LE GUYADER, pour que tes œuvres soient révélées au public. C'est bien long pour ceux qui t'ont connu, mais, au fond, ça ne compte pas pour ceux qui vont te découvrir, car le secret de la vraie poésie – comme celui du grand art – est de toujours parler au présent. VILLON et RONSARD auraient pu être les copains d'enfance de tous ceux qui ne vivent pas à moitié.

(...) Ta force et ta fragilité ont été, il me semble, de faire corps avec la poésie. Quand tu as estimé ton œuvre achevée, ton existence matérielle devenait superflue. Transfusion alchimique du sang vers l'encre. Précipitation de l'encre devenue ancre. Ancrage dans la poésie, pour éviter un naufrage que tu croyais inévitable. "Pendant quelques années j'ai tenté l'expérience de vivre comme je l'entendais ; j'ai cru, en quelques mots, qu'il était possible de vivre exclusivement de l'écriture dans une vie figurée, perpétuellement provisoire ; et assurément, toutes ces années-là auront été très douces, un peu irresponsables, comme le sont souvent les années de jeunesse ; puis j'ai du me rendre à l'évidence que ça n'était pas possible". Alors tu as trouvé un terrible remède à cette vie provisoire : une vie définitive hors du temps, projetée dans des poèmes qui attendent leur résurrection par des lectures complices, des voix amies.

(…) Mais je t'entends ricaner comme aux bons moments de nos moqueries et de nos rigolades : Voilà bien ton esprit scientifique ! Moi j'ai choisi la  "liberté absolue", la "fixation définitive dans ces feuilles, dans ce soleil, dans ces gens qui passent ; impression porteuse de félicité plus qu'autre chose". Cette réalité, mon éternel ami, nous place toujours, et pour toujours, dans le même genre d'état que celui du Chat de Schrodinger : nous sommes à la fois inconsolables et consolés. Que vivent et voyagent tes poèmes, dans l'espace et dans le temps !

 

Christian LAVIGNE, Novembre-Décembre 2016.

 


Pour Xavier Girot

 

"Je ne me suiciderai pas, on oublie si vite les morts".
Marguerite Yourcenar dans Feux, écrit à l'âge de vingt ans.

 

Xavier Girot s'est suicidé en 1981 à l'âge de 20 ans après avoir écrit un ensemble de poèmes de 15 ans à cet âge. La dernière lettre qu'il écrit le jour de son suicide à Christian Lavigne, son meilleur ami, indique à propos de cette mort volontaire une "impression porteuse de félicité plus qu'autre chose." Le mot félicité est souligné par le poète qui meurt à 20 ans en pleine conscience quand d'autres attendent parfois toute une vie sans jamais y parvenir.

Sa poésie est unique, jamais découverte jusqu'à cette année récente de 2017 où Raz éditions décident de le publier.

107 poèmes sur 157 pages, numérotés et choisis par l'auteur, incorporés de façon chronologique dans le livre, une poésie en vers libre, quelques rares poèmes rimés.

Xavier Girot écrit sous haute tension, avec un œil électrique, avec rythme, énergie et force.

Des images qui s'entrechoquent : la ville / la campagne, la terre / le ciel (la lune est souvent évoquée), le concret / l'abstrait, l'océan et le bitume, des fleurs et les fils télégraphiques.

Un corps qui capte, un corps adolescent, un corps jeune à l'écoute de tous les signes d'un monde-tourbillon sans Dieu, un fracas d'images/fulgurances.

Parfois le poète dit quitte à malmener la syntaxe : "je seul la voix" dans le poème 12 Chasse, page 34, écrit à l'âge de 16 ans en 1977, pour le poète la nuit était "nervale", "le foisonnement sortie d'école de la vie momentanée" poème 6 Impromptue, page.25, daté du 23/03/1977.

Girot est ami de la modernité comme Rimbaud le Harrar est cité, c'est un frère du Rimbaud des "illuminations" et de "Une saison en enfer", aussi flamboyant, aussi décapant, un homme du 20ème siècle comme Pierre Reverdy qu'il aimait, comme le rappelle Christian Lavigne dans sa préface incorporée à l'ouvrage.

Xavier Girot, ami des mots, des choses, des objets qui ont une existence à part entière dans sa poésie. ami du monde qui l'entoure, parfois le dépasse, un monde plein de vie. ami des gens aussi, du peuple des banlieues qu'il connait, de Paris.

Chez Girot pas de psychologie, pas de ponctuation ou si peu, ou des tirets.

"Mais je sais désormais que la parole ne pourra contenir toutes les lignes, porter tous les couchants des toits", poème 94 Pierre jetée, page 140, daté du 30/03/1981.

Le monde est lourd de matière, une matière que le poète labourera jusqu'au bout en terrien.

A lire de toute urgence, ce jeune homme a une maîtrise extraordinaire de la langue française.

 

Anne-Marie Gentric.

 


 

Nous sommes quelques-uns, trop peu nombreux, à avoir approché une comète poétique, une traversée furtive dans ce monde ayant laissé une mince lumière, pourtant si rayonnante. C'est cette étoile filante que je vous invite à découvrir de toute urgence. 

 

Xavier Girot a choisi en 1981 de quitter ce monde bien avant la fin du siècle qui lui paraissait vain. Il avait vingt ans. On est très sérieux à vingt ans et mourir à cet âge c'est vouloir devenir une comète. Lui qui croyait en sa survie par la mémoire et la postérité, ("cette sublime illusion des grandes âmes" de son modèle Reverdy...), voit enfin son rêve se réaliser par l'entremise de son frère et de son meilleur ami d'alors. Et puis et surtout, grâce à Philémon Le Guyader qui, en éditeur avisé, lui offre enfin une forme de résurrection en regroupant cent sept poèmes écrits entre dix-sept et vingt ans.

 

Et là, dès la première lecture, on se trouve face à une poésie brûlante dans "le brillant de la fièvre", à une déflagration avec ces quelques pensées désordonnées, ordonnées en poèmes avec "la fièvre au bas des pages".

 

A dix-sept ans, quel adolescent peut écrire aussi bien l'attente de l'amour "L'espoir d'un temps complet pour la beauté des choses [...] ta peau est mon approche" ? et en même temps laisser transparaître son désespoir avec tant de foisonnement "la vie me guette", "je suis né au ciel glauque regretté ivre". Cette jeunesse à qui l'on pardonne son exubérance adolescente dans la fougue et l'audace, légèrement ostentatoire, tant qu'elle apporte une créativité nouvelle. 

 

Il n'est plus là pour expliquer sa démarche exigeante mais je le vois voulant aller plus loin, dépasser les mots pour dire le monde, par petites touches d'âpreté dans les atmosphères. A l'intérieur de ses pages, le jeune auteur cherche à apercevoir une autre lumière "sous le patronage misérable des lampadaires". 

 

On sent les influences baudelairiennes (ce couvercle baudelairien qui masque l'horizon de l'auteur, avec cette "ligne d'horizon mauvaise habitée par l’enfance") mais aussi reverdiennes en sa recherche du choc poésie. J'y vois aussi une filiation dans le style avec Yves Mabin Chennevière, lui aussi trop peu connu et décédé en 2020. Les poètes sont en avance sur leur temps, c'est pour cela que personne ne les connaît.

 

Les lieux impriment fortement l'écriture de Xavier Girot, les villages "et le ruisseau d'entre les paysages", "la solitude des pierres", les "banlieues d'ombre"  et les "éclats de montagne". Tous ces lieux qu'il intériorise si bien sans aucune nostalgie, ni attachement à une terre particulière. De même, l'absence de repères sur son époque rend le propos toujours actuel.

 

Et puis les villes. Dans ces villes, capitales ou non, le "paysage n'écrit pas comme les autres", les murs sont glabres, "les façades sûres et vides, les cours infirmes, les fenêtres ignorées.", "les murs de verre de suie", les "tours perchées dans les saisons ". Ce sont "des villes de lassitudes immenses", aux "rues vagues".

 

La ville de jour, de nuit, dans le vacarme, la rumeur ou le silence "le grand silence devint le grand présent / nous ne reviendrons jamais de nos cernes". Ces cernes que l'auteur n'a pas eu le temps de voir apparaître sur son visage, j'aurais tellement aimé voir vieillir ce poète...

 

Tout le monde le sait, nul n'est poète en son époque, trop en avance et en discordance avec les autres, quarante ans après sa disparition il est temps de faire rayonner ce jeune poète et lui offrir un peu d'éternité.

 

Denis Heudré.

 


Xavier Girot et la lumière au cœur de la nuit (extrait).

 

Les premiers poèmes de Xavier Girot ont été écrits quand il avait quatorze ans. Les derniers quand il en avait vingt. Puis il s’est donné la mort en septembre 1981. Six ans d’écriture donc, de la plus classique à la plus contemporaine, dans les fièvres de la nuit et la débâcle des jours. Aucun texte de lui n’a été publié de son vivant. En 2016, son frère Christian et son ami Christian Lavigne rencontrent Philémon Le Guyader, directeur des éditions RAZ. Lequel est immédiatement subjugué. L’année suivante, il publie 107 poèmes de Xavier Girot et choisit d’appeler le recueil Villes intérieures, l’auteur n’ayant indiqué aucun titre. L’ensemble est précédé d’une note de l’éditeur, d’un Portrait d’un

éternel ami par Christian Lavigne et de la dernière lettre que Xavier Girot lui a écrite juste avant son suicide. Ces textes tissent avec l’œuvre des liens étroits dans la trame du mystère de la poésie. Au cœur de la nuit ou en plein jour, la lecture de Villes intérieures impose un silence ému, forcément ému.

 

Il ne s’agit pas ici de céder à l’imagerie des météores littéraires. Ni de forcer l’énigme absolue de la mort volontaire. Seulement d’apprivoiser une poésie à nulle autre pareille, entre le noir et blanc des images, et d’offrir au lecteur un peu de sa lumière.

 

De Verlaine à la poésie orale.

 

Dans son texte daté de septembre 1980, Souvenir personnel et qui n’a rien à voir, Xavier Girot clame son amour du classicisme. « Je crois profondément qu’en littérature il s’agit de nier le cours du temps ; il y a un courage nécessaire

à, délibérément, choisir la beauté, qui est l’autre nom d’une raison encore claire, à, délibérément, choisir ce qui est respirable, honorable et sincère, et avec, le quolibet facile du « passéisme », plutôt que de hurler avec des loups de

troupeau. » Cette profession de foi poétique est rappelée dans la dernière lettre de l’auteur à son ami, Cicéron et Pétrarque à l’appui.

 

Sans remonter jusqu’à l’Antiquité, le lecteur remarquera des poèmes dont la forme et / ou le fond évoquent le dix-neuvième siècle, du romantisme au symbolisme en passant par le réalisme. Dans la Stance en l’honneur du jour,

« Les brumes lointaines s’effacent, et sur la lande remonte le cri de l’animal » peuvent faire penser à La mort du loup d’Alfred de Vigny. De même, Victor Hugo se reconnaîtrait dans certains quatrains du poème Des vies, et notamment

le premier : « Je suis l’enfant de Babylone / qui regarde au loin les mâts blancs / des tours hautes qui s’abandonnent / au ciel levant ».

 

D’autres rapprochements seraient envisageables, avec Baudelaire parfois, ou encore Charles Cros, mais c’est surtout la figure de Verlaine qui apparaît entre les vers de Xavier Girot. Ainsi ce quatrain par exemple : « Quelle est l’heure où

je me désire / quel est le ciel où je te tiens / d’ici partent tant de matins / le ciel est trop haut pour mourir… » Le poète reclus en sa solitude comme le pauvre Lélian prisonnier, s’interroge sur le temps et l’espace dont les traverses

l’égarent. Notons également, dans Paysage de nuit, ces vers suspendus : « Dans la ville, les jeux des morts se lèvent, au coin des parcs, avec d’immenses voiles… » Le premier et le dernier distique du Colloque sentimental dans Fêtes

galantes, publiés en 1869, s’y apparentent un peu même si le contexte est différent : « Dans le vieux parc solitaire et glacé / Deux formes ont tout à l’heure passé // Tels ils marchaient dans les avoines folles, / Et la nuit seule entendit

leurs paroles. » L’imaginaire du lecteur se laissera bercer par les avoines folles comme par les immenses voiles et c’est ainsi que la chanson est bonne.

 

Franchissons maintenant le vingtième siècle avec Pierre Reverdy que Xavier Girot admirait. On trouve chez les deux poètes la même volonté d’assembler des fragments du réel que, rien, apparemment, ne relie. S’agit-il d’un miroir brisé

dont la volonté invente une reconstitution ? Et pour quelle urgence de l’âme, entre veille et sommeil ? Dans sa préface à Plupart du temps, I, Hubert Juin dit de Reverdy qu’il piège le réel absent et que le poème est poème parce qu’il est nostalgie de la splendeur vraie. Sans forcer les ressorts de l’intertextualité, les échos reverdiens des poèmes de Xavier Girot sont tout à fait audibles et l’œil découvre des similitudes dans la représentation spatiale. En voici deux exemples :

 

   Alors, le désert, la nuit, la peur, le sommeil

aux rues vides,

 

  Voir se lever un nouveau jour, en ayant tout

perdu.

 

  Se sauver.

 

    Mourir, les yeux verts.

 

*

 

La lampe s’assemble

Les chênes noirs ont été promis

Bientôt tombe la mer

 

   dans la nuit mauve

 

Visage et corps de l’adoration

 

*

 

En revanche, alors que Reverdy se tenait à l’écart du surréalisme, tout au moins dans ses élans qu’il estimait trop spontanés, échappant à la raison, Xavier Girot en aime les rivages improbables. Ainsi dans cet extrait : « Et le cadavre de la mer pend aux balcons de marbre comestible et fume avec des îles de connaissance, - vers des migrations -, et longs et sûrs frémissements pour les yeux grands ouverts sur les nuits glauques et vertes d’or, l’heure où le maître est

ferroviaire ». De même, le désir d’effacement de l’auteur étant peut-être moins ancré que celui de son aîné, on notera ici un recours plus fréquent au « je », allant parfois jusqu’au balbutiement. Dans ces vers saccadés notamment : « La

joie : Pourrait être l’eau pure – si n’était pas bue. La vie inquiète du bois pour soi. L’automne le hérissera. De minute en minute la chose du vent se précise. Maintenant. Je cours dans les taillis. Je, je, je, je ! »

 

Cette parole suffoquée nous amène à observer l’œuvre de Xavier Girot sous l’angle de la contemporanéité. De nombreux poèmes semblent avoir été écrits pour être dits voire criés sur scène. Leur disposition spatiale en atteste, dans

l’égrainement des mots souvent répétés, parfois coupés. « plaines de clichés / plaines de projets / dans un grand soleil mauve / gicle / pour l’é / ternité / des regards tellement organisés / un jour une qui s’ouvrirait / un trait seul trait / et face au vent / des grandes écharpes rouges / sur les silences / les marais / les absences / les regrets ». L’accumulation des tirets, parfois tout du long d’un poème, impose à l’écriture la vitesse de la fureur de vivre avant la fin pressentie : « des-regards-absents-jetés-sur-des-bleus-alcools-/ des-intérêts-immenses à-la-seconde / et-puis-passer très-vite pour-ne-pas-tomber- / monsieur si-vous-tombez / ce-sera-la-fin-de-la- gravitation-universelle ». De même, et c’est peut-être là le désespoir de l’autodérision qui s’exprime, certains recours à la trivialité (non péjoratifs à nos yeux) trouveraient aujourd’hui leur place dans quelque gueuloir électrique des banlieues desdichadas, lorsque « tout fume et crache » : « le cul de Dieu », « ta gueule ta gueule ta gueule », « mon Dieu quelle connerie d’écrire », « nés dans la MERDE ».

 

Et pourtant, à l’opposé de son illustrissime ancêtre qui souhaitait que l’on fût « absolument moderne », Xavier Girot écrit ceci, encore dans Souvenir personnel et qui n’a rien à voir : « Nier l’aujourd’hui, nier, nier désespérément les modes, les langues sèches et inhumaines, les recherches de laboratoire qui ne donnent que du mortel », et lance un appel à la pureté, dernier apanage ontologique de l’étant. Comme une quête effrénée du blanc parmi les oripeaux

du noir.

 

(...)

 

Dominique Boudou.

 

Liens sur le blog Jacques Louvain :

 

Xavier Girot et la lumière au cœur de la nuit (1).

 

Xavier Girot et la lumière au cœur de la nuit (2).

 

Xavier Girot et la lumière au cœur de la nuit (3).

 


 

DERNIERE LETTRE DE XAVIER GIROT

 

Le 15.9.81

 

                                    Cher vieux camarade,

 

    J'écris dans l'après-midi, et songe que dans quelques minutes je t'appellerai et passerai sans doute chez toi. Voici : Je t'écris pour t'annoncer mon suicide, qui aura lieu ce soir mardi. Décision prise depuis longtemps en fait ; par définition elle ne peut être communiquée à l'avance. Etant athée et anti chrétien je ne considère nullement ce geste comme un drame, comme un déchirement, mais comme un acte de liberté absolue. Pendant quelques années j'ai tenté l'expérience de vivre comme je l'entendais ; j'ai cru, en quelques mois, qu'il était possible de vivre exclusivement de l'écriture dans une vie lignée, perpétuellement provisoire ; et assurément, toutes ces années-là auront été très douces, un peu irresponsables, comme le sont souvent les années de jeunesse ; puis j'ai dû me rendre à l'évidence que ça n'était pas possible. Pour reprendre notre discussion de l'autre jour : Les sonnets de Pétrarque ne remplacent pas Laure. Et je crois que c'est toute la réponse que je peux apporter aux questions que tu te posais.

 

    Je pensais l'autre jour que ça faisait maintenant neuf ans que nous nous connaissions, que la dixième commençait. J'ai revu hier à Paris un fantôme du passé, Malet, de notre classe de quatrième. En somme, j'ai l'impression que notre amitié aura été parfaite, sur tous les plans ; en particulier nos poésies en auront été profondément nourries, et n'auraient pas été, chacune à part, ce qu'elles sont devenues dans cet échange. Cicéron dit dans le De Finibus qu'un homme ne croit à aucune survie ne se préoccupe pas de son souvenir ni de ses écrits ; je crois que c'est profondément faux. Je crois en la survie par la mémoire, la seule en vérité qui vaille et qui compte, et c'est là quand même que Pétrarque triomphe ; peut-être de mes poèmes en vers classiques, qui me paraissent de plus en plus la forme de poésie la plus solide, mais aussi des autres, y en aura-il trois ou quatre qui auront cette facture qui fait durer.

 

    Cela dit, ma fenêtre est ouverte, sur des jardins ensoleillés (et en partie par l'arrivée de l'automne, qui commence à jaunir), sur un ciel aéré, large, et dès aujourd'hui à nouveau, dans les lycées, se nouent par milliers des destinées, des aventures : en somme, le monde continue. Je ne veux nullement donner à cette lettre une atmosphaaaîre lugubre, de contrition largement hypocrite, mais tente de te faire comprendre que je me sens ne faire qu'un avec tout ce que je vois sous mes yeux, et que je n'ai pas du tout le sentiment d'un départ, mais plutôt d'une fixation définitive dans ces feuilles, dans ce soleil, dans ces gens qui passent ; impression porteuse de félicité plus qu'autre chose.

 

     Voici. Je garde de notre amitié les moments parmi les plus pleins et les plus agréable de toutes ces années. Tu salueras François Schmit avec l'assurance que sa vie ne manquera pas d'être à la mesure de ma vieille admiration d'enfant pour son intelligence et sa culture. Pour toi, j'ai l'impression que ça n'est pas mal parti non plus ; je te souhaite d'être Pétrarque avec Laure, ou crack matheux, ou pourquoi pas ? tout ça ensemble ; mais j'ai la certitude que ce sera de toute façon en étant d'abord toi-même, et c'est l'essentiel. Bye !

 

 


 

 

Aquarelle du frère de Xavier Girot en illustration du poème Adieu. (Le 26/12/1981).