Je ne suis pas ce corps - Verónica González Arredondo

  

 

Je ne suis pas ce corps a fait l'objet d'une première publication en langue espagnole en 2014 sous le titre de Ese cuerpo no soy aux éditions Universidad Autónoma de Zacatecas (Mexique) et a obtenu en 2014 le Prix national de Poésie Ramón López Velarde au Mexique.

 

Traduction d'Elise Person

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Format 13 cm x 20 cm - 96 pages

ISBN : 978-2-37517-009-0

Prix 12 euros (+ 3€ de frais de port)

 

Parution en 2018.

 

 

Dans ce recueil traduit de l’espagnol par Elise Person, la poétesse mexicaine Verónica González Arredondo relate dans un style lapidaire et saisissant, l’immigration clandestine des femmes en Amérique centrale et leurs disparitions alarmantes… Elle tente de leur redonner vie à travers une sorte de voix d’outre-tombe qui parcourt le texte, cette voix off de la disparition innommable de tous ces corps mutilés perdus dans l’anonymat de lieux inconnus :

 

« une croix devrait bouillir au milieu de nulle part
un repère sur la plaine
ci-gît un jardin hivernal
des pétales jaunes resplendissent avec une terreur
de glaciers
au fond d’un lac »

 

Cette écriture de l’holocauste témoigne sans fards et sans détours de la sauvagerie du viol et parfois du meurtre de ces femmes perdues pour toujours et ne laissant pas même une trace. Le titre lui-même témoigne d’une tentative désespérée d’instaurer une sorte d’au-delà du corps, de fuir l’étouffante réalité. Mais de l’horreur même surgit quelques infimes signes d’espoir au détour d’une métaphore, petit fil fragile suscité par une métaphore imprévue venant renouer ensemble la mort et la vie :

 

« J’ai trouvé un escargot des sables enroulé dans mon palais
Un vestige de vie
Mon amulette
Son ambre illumine ma nuit »

 

Ainsi entre le corps et le désert parfois la frontière s’efface, le nom se perd dans l’anonymat de l’exil et de la dissolution. Redonner voix, c’est aussi redonner corps à ce qui s’est perdu et assurer ainsi une sorte de délivrance peut-être à travers le rêve d’un envol furtif au-dessus de la mer. 

« Qu’importe l’endroit où nous sommes
Je vais renaître pour nommer la mer
Au pain et à l’eau ce vol nous a été offert
Ce vol
Et non pas l’appartenance »

 

Au cœur même de cette nuit de l’âme surgit parfois une espérance de salut symbolique par le signe qui devient alors passeur de mémoire en hommage aux disparues ainsi ressuscitées l’espace d’une phrase dans un style lapidaire et poignant :

 

« LES FEMMES ONT LES MAINS BRODÉES D’ENCRE
Tissées de fleurs et de croissants de lune dans sa courbure
De trait 
Sur les paumes et le visage
Une écriture évoque la volonté hasardeuse de la nuée
Depuis le corps la permanence du signe parle :
Je suis l’oiseau
Passager éternel du vol »

 

A travers ce que la poétesse nomme des « cadavres textuels » surgit la force sans concessions d’une parole qui témoigne sans se dérober et devient ainsi le plus vibrant des hommages à ces oubliées de l’histoire errant à jamais sans sépulture autre que ces quelques mots. Telle Antigone, la lutte passe par ce pouvoir symbolique qui fonde notre humanité, par-delà toute barbarie… Rien ne peut-être définitivement perdu de ce qui fut ainsi transmis par le pouvoir de l’écriture qui devient le linceul éternel de toutes ces femmes, brodé de « fleurs » et de « croissants de lune » : « Indéfiniment l’écriture dans la silhouette d’un monde abandonné. » (Maria Negroni)

 

Véronique Elfakir. Revue Terre à ciel, poésie d'aujourd'hui.


Mortes sans sépultures.

A propos du livre de Verónica González Arredondo  Je ne suis pas ce corps paru aux éditions RAZ en 2018.

 

L'auteure s'exprime en vers libres sans ponctuation et aussi en prose non poétique aux sujet des meurtres de femmes au Mexique et ailleurs (par exemple au Moyen Orient) dans un style sobre, dépouillé, clair avec des termes et expressions explicites : "mis à nu le corps souffre", "voici la pièce où l'on m'a brûlée vive", "je me suis levée sans jambes ni bras", "le déchiqueteur de viscères"...

 

Verónica González Arredondo  parle du corps, essentiellement du corps, un corps sans nom puisque l'on ne connait pas l'identité de ces femmes, avec sensorialité, évocation des lieux, des paysages : le désert, la frontière, le pôle nord, la mer, le froid, le chaud, l'humide, le sec...


Ici le tueur est "la bête", sans nom, aussi, puisque les assassins ne sont jamais identifiés : maris, pères, amants, passeurs, trafiquants..., univers fantastique à la Lautréamont, que l'auteure aime particulièrement, surréaliste aussi.

Les textes en prose non poétiques évoquent soit avec humour noir, soit avec réalisme dans le désordre Elisabeth Bathory, tueuse de femmes du seizième siècle, surnommée "la comtesse sanglante" en Hongrie, qui aurait tué 600 jeunes paysannes - au Mexique ce sont des des ouvrières d'usines qui sont tuées, des femmes pauvres, des transfrontalières....- une tueuse mexicaine d'hommes, on trouve " un manuel de bonnes pratiques sur la scène du crime" très humoristique, un petit chef-d'œuvre d'humour noir : la lettre de refus d'un PDG d'une multinationale américaine installée à Mexico qui répond à une famille qui lui demande de mettre la photo de sa disparue sur des briques de lait...


Questionnement d'identité peut-être à jamais disparue, je ne suis pas ce corps refuse d'être assimilé à un corps sans nom.
Livre salutaire d'une voix mexicaine qui refuse d'être mutilée de ses lèvres, de sa langue au propre comme au figuré, dans un Mexique livré aux démons du capitalisme sauvage où les les "petites femmes", les petites gens sont jetés comme des déchets.

 

Anne-Marie Gentric, août 2019.


C'est le sous-sol. Je ne vois personne.
Je ne peux voir personne. Je suis fatiguée.
Je m'achève. Je m'enfonce. Je ne peux parler.
Qu'est-ce que j'attends ?
Alejandra Pizarnik.

 

La parole fait mal. Elle ouvre les crevasses de la terre humide. Elle démêle la vérité, celle que personne ne croit ni ne cherche, celle qui blesse quand on l'écoute. Ce chant surnaturel est douloureux, il scintille d'éclat à travers les lys et alimente le feu du malheur. Se savoir sous le ciel sans étoiles, sous l'arythmie de la ville qui s'éloigne, sous terre, sous le bourbier de l'ignominie, se savoir là est une douleur. Sous les péchés non conçus, sous les rêves dissimulés, sous les routines anéanties. Les étoiles éteintes avalent un cri étouffé et attendent que la vérité fleurisse.

La poésie de Verónica G. Arredondo dans son livre Je ne suis pas ce corps, lauréat du Prix National de poésie Ramón López Velarde 2014, est d'une force qui ne se périme pas. A l'ombre du vide, elle démêle les mots comme un chant de vie perdue ; Verónica G. Arredondo trouve, entre les restes, des histoires de fin abrégée qui lancent une alerte qu'on refuse d'écouter encore de nos jours.

 

Je veux retrouver mon corps
appeler mon nom
m'habiter
sans plus aucune de nos larmes

 

On pourrait dire que la femme constitue le thème central de l'oeuvre de Verónica G. Arredondo, mais sa poésie va au-delà de ce thème. Elle enveloppe dans ses vers le sourire enfermé, des regards fragmentés et des rêves démembrés. Des illusions enterrées avec l'espoir de revivre une lassitude qui blessait.

 

Qu'importe l'endroit où nous sommes
je vais renaître pour nommer la mer

 

Je ne suis pas ce corps se divise en neuf chapitres, qui voyagent dans la réclamation incessante de vie et se diluent dans la façon de montrer le monde par les voyages imaginaires, obligatoires ou éternels de Verónica G. Arredondo.

Chaque partie de ce livre nous plonge dans la mésaventure du non-vivre en quête d'une vie meilleure.

 

Printemps en Arctique : ce sont des rêves qui gisent là et humidifient la terre.

Mis à nu le corps souffre : dans la profondeur du souvenir, il y a un voyage que nous n'avons jamais fait.

Enfer Paradis : la fosse commune des illusions émoussées.

La Bête : le voyage obligatoire qui tranche les chimères.

Au Moyen-Orient : décrit la fumée ancestrale de la chambre dans laquelle nous vivons tous.

Signes particuliers : c'est l'autopsie d'une société toxique.

Celle que je sais que je ne suis pas et que je deviens : s'identifie dans une prose rayonnante avec celles qui sont mortes dans l'obscurité.

Cadavre textuel : catalogue de silences non identifiés.

Je ne suis pas ce corps : est un cri définitif « pour s'éveiller dans un autre rêve ».

 

La poésie de Verónica G. Arredondo, dans Je ne suis pas ce corps, est un autre cimetière, avec des épitaphes essorées parmi des malheurs personnels que la terre ferme s'efforce d'oublier, mais qui restent là, qui changent de noms et de géographies souterraines alors que la revendication, la complainte et le souvenir des rêves restent d'actualité. Et portent le nom de femme.

 

Nous devons le lire pour ouvrir les yeux et déterrer notre passé pour construire un futur dans la poétique de la conscience.

 

 

 

Article d'Adrián Sánchez Oropeza, Tiempo de Zacatecas, octobre 2019.
(traduction : Elise Person).


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Verónica González Arredondo

Née à Guanajuato au Mexique en 1984, elle détient un doctorat en Arts de l'Université de Guanajuato et un Master en Philosophie et Histoire des idées de l'Université de Zacatecas. Auteure des livres Signes particuliers (2014), Vert feu des esprits (2014) et du livre d'artiste Desparpajados (réédité en 2014).  Elle a publié dans divers magazines mexicains. Ses poèmes ont été publiés dans l'anthologie de la XIXe rencontre internationale des « Femmes poètes dans les pays des Nuages » en 2014. Elle a gagné le Prix national de Poésie Ramón López Velarde 2014 et le Prix national de Poésie Dolores Castro 2014. Artiste sélectionnée finaliste au deuxième Concours International du Livre d'Artiste 2014. Elle a obtenu le soutien du programme de stimulation à la création et au développement artistique de Zacatecas (2012-2013).

 

Je ne suis pas ce corps est son premier recueil a être traduit en français.